Davantage de subtil au royaume de l’utile

Article au sujet de mon livre l’esprit subtil du management paru aux éditions Ovadia. Un article initialement publié sur le site ManagerSanté.com.

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L’art et la pratique du management est largement pensée, aujourd’hui, selon la rationalité instrumentale. Cette domination se caractérise par la dérive gestionnaire dénoncée par certains acteurs d’institutions et administrations du secteur public. Au sein de l’hôpital public plusieurs voix se sont élevées contre cette logique comme en témoigne certains articles ou tribunes récentes « La logique gestionnaire s’est immiscée à l’hôpital » ; « Les hôpitaux malades de la peste gestionnaire » ou encore le livre de Stéphane Velut : L’hôpital, une nouvelle industrie, le langage comme symptôme. Chacun de ces écrits dénonce les excès de ce que nous pourrions appeler la managérialisation des organisations de santé.  

A rebours de cette dérive on observe le recours de plus en plus fréquent aux sciences humaines et à la philosophie pour éclairer des questions managériales. Apparaît ainsi une aspiration à penser le management au-delà de la quantité et des chiffres ; en définitive, il s’agit de remettre du subtil au royaume de l’utile.

L’esprit subtil du management propose ainsi une réflexion en s’appuyant sur la philosophie réaliste, celle d’Aristote et Thomas d’Aquin. Cette philosophie fournit un point de départ pour ensuite entrer en dialogue avec les enjeux contemporains.

En cohérence avec cette position philosophique, c’est la notion de qualité qui est questionnée en guise d’entrée en matière au cours des premiers chapitres. Elle est interrogée notamment dans son rapport à la quantité. Ceci aboutit à une distinction entre l’esprit de qualité et l’esprit de quantitéL’esprit de qualité rejoint en quelque sorte l’esprit de finesse pascalien quant à l’esprit de quantité il correspond à l’esprit de géométrie. (Cf. voir mon article « Peut-on passer d’une logique d’efficacité à une dynamique d’efficience dans les établissements de Santé ? »)

A partir du constat de la domination entre l’esprit de qualité et l’esprit de quantité, plusieurs pistes sont habituellement envisagées pour échapper à l’esprit de quantité ou rééquilibrer les forces en présence. Le premier est le discours sur la complexité et le second est le recours au coaching.

  • Le discours sur la complexité n’atteint que partiellement la cible car la complexité reste un phénomène quantitatif. En réalité c’est l’expression quantitative de la qualité, ainsi le discours sur la complexité qui prétend échapper à la réduction du monde à une seule dimension reste imparfait car il tente d’échapper à la quantification par davantage de quantification.
  • Le coaching quant à lui, semble se présenter comme une solution privilégiée pour permettre aux organisations de se rééquilibrer en faveur de l’esprit de qualité. La difficulté qui se présente alors provient de son excès méthodologique. En effet, les techniques et les méthodes semblent s’imposer sans laisser de place à l’esprit de qualité. Cet effet est compensé, dans la pratique, par le bon sens et l’intelligence des coachs praticiens. L’écueil principal reste toutefois celui de techniciser l’homme au point de le considérer comme un process. Certes, un process très complexe, mais un process quand même.
Dès lors, quelles pistes légitimes et pertinentes envisager pour rééquilibrer l’esprit de qualité et l’esprit de quantité ?

L’essai propose non pas des pistes, mais des propensions internes afin d’insister sur le fait que ce ne sont pas des solutions exogènes mais des orientations qui s’inscrivent dans la réalité vécue du management au sein de chaque organisation. Charge à chacun de tout mettre en œuvre pour lui permettre d’éclore.

  • La première est de retrouver dans le terme de « management » celui de « ménagement ». Avant d’être adopté par Taylor dans ses écrits sur l’organisation scientifique du travail, le terme de management était employé pour signifier la gestion de biens ou de personnes (nourrissons, vieillards) dont il fallait prendre soin.
  • En second lieu il s’agit de remettre le travail au centre des organisations. On entend souvent l’injonction ou le souhait de remettre l’humain au centre. Cela peut être un écueil car la dimension humaine est toujours incarnée dans une réalité concrète et ne vient pas de façon détachée. Le travail en trois dimensions correspond aux dimensions de l’expérience que nous faisons tous du travail. Ainsi notre expérience du travail comporte toujours trois dimensions : la dimension subjective, la dimension objective et la dimension collective.(cf  :  « L’expérience du travail confiné : réflexions pour le monde qui vient »)
  • La troisième propension suggère de préférer « les humanités » à « l’humain ». C’est là une invitation à prendre en compte la dimension humaine du management en s’affranchissant des recettes et techniques managériales. Lors d’un webinaire auprès de managers d’une administration publique pendant le confinement d’avril, un manager a laissé le commentaire suivant « merci pour ces références livresques. Les managers doivent pouvoir regarder ailleurs pour s’enrichir. Un management basé sur la culture, les sciences sociales, dont la philosophie, est pour moi préférable à un management prononcé à l’américaine, avec tests et recettes ». Ce commentaire est d’autant plus parlant que c’est un grand cabinet de consulting américain qui déploie au sein de cette institution le programme d’accompagnement et transformation managériale.
  • La quatrième propension consiste à incarner l’abstrait. Les comités de direction sont devenus l’eldorado des chiffres et des ratios si bien que parfois on oublie ce à quoi ils correspondent et ce qu’ils signifient pour les collaborateurs qui sont à l’origine de ces chiffres. Prendre un chiffre qui semble significatif et en retracer l’histoire avant sa présentation en codir peut être un exercice éclairant permettant de mettre en lumière le travail réel qu’il représente.
  • La cinquième propension proposée est de fonder l’autorité sur le don. Les travaux de Marcel Mauss ont mis en évidence que le don est un fait social et anthropologique total. Fonder l’autorité sur le don c’est savoir demander-donner-recevoir-rendre, c’est-à-dire d’entrer dans la réciprocité. Il s’agit là d’une ligne de crète fragile qui peut se convertir en exiger-écraser-rejeter-solder ou bien attendre-retenir-profiter-perdre. Un leader est quelqu’un qui donne de lui-même, il s’engage en vue d’un but commun. Dès lors, il doit reconnaître les actes de dons de ses collaborateurs et leur permettre de se donner tout en préservant leur équilibre.
  • Enfin, la dernière propension concerne la complexité ; ou plutôt la pensée complexe. Si le discours sur la complexité semblait insuffisant, il s’agit là non pas de prendre simplement conscience que le monde et les organisations sont complexes, mais plutôt de s’exercer à la pensée complexes. La pensée complexe s’efforce de ne jamais réduire le réel à une seule dimension, c’est donc un exercice qui vise à compenser le penchant de notre esprit à la simplification.

Ces propensions proposées ne sont pas exclusives, il existe bien d’autres possibilités de privilégier le progrès subtil au progrès utile. En effet, comme l’explique le philosophe Pascal Chabot il existe à côté du progrès utile un progrès subtil et « on ne peut progresser dans ce qu’il y a de plus subtil en la personne, à savoir la recherche d’un équilibre passionné et serein dans la relation au monde, sans y consacrer du temps » (1). Il s’agit d’aller au-delà de l’utile car comme disait Saint Exupéry, « la vie crée l’ordre, mais l’ordre ne crée pas la vie ».


(1) Pascal Chabot, Global Burn-out, PUF, 2017

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